Entretien avec Kent Nagano

Kent Nagano © Sergio Veranes

D’où est né votre amour pour la musique ?  

Mon amour pour la musique remonte à mes quatre ans, lorsque ma mère, qui est pianiste, m’a  initié à cet instrument. À sept ans, elle m’a confié à un professeur dont le parcours pour le moins  singulier. Formé au Conservatoire de Moscou, il avait dû fuir Staline durant la Seconde Guerre  mondiale pour des raisons politiques et s’était réfugié à Munich. Là, il avait poursuivi sa  formation dans la tradition des Hochschulen allemandes. Mais son exil ne s’est pas arrêté là : à  cause d’Hitler, il a dû à nouveau fuir et s’est réfugié aux États-Unis.  

Concertiste de formation, il s’est toutefois heurté à une dure réalité : à cette époque, et jusqu’à  la fin de la Seconde Guerre mondiale, il était pratiquement impossible de faire carrière en tant  que pianiste aux États-Unis. Il s’est donc rapidement tourné vers l’enseignement, obtenant un  diplôme universitaire dans ce domaine, et son premier poste l’a conduit dans mon petit village.  

Auprès de lui, j’ai reçu une éducation musicale très particulière. Coupés de l’influence des  grands centres cosmopolites, nous, ses élèves, avons été formés selon les traditions  rigoureuses du Conservatoire de Moscou et des Hochschulen munichoises. Ces deux écoles  ont des approches pédagogiques très anciennes, différentes de celles du Conservatoire de  Paris et plus encore des écoles de musique américaines. Ce socle exigeant a été la base d’une éducation musicale solide, qui m’a permis de bâtir ma carrière et d’entretenir ma passion pour la musique.

Nous venons d’évoquer votre premier mentor, mais vous avez également travaillé avec  des figures emblématiques comme Seiji Ozawa, Leonard Bernstein ou Pierre Boulez. Que  vous ont-ils appris ?  

J’ai croisé le chemin de nombreux mentors, ce qui est un véritable privilège. Le plus important  d’entre eux a été Olivier Messiaen, qui m’a ouvert à des perspectives totalement nouvelles. Je  n’ai rien contre les États-Unis d’un point de vue artistique, mais nous restons, en tant  qu’Américains, relativement éloignés des lieux où est née l’histoire de la musique. Lorsque  Messiaen m’a fait venir à Paris, il m’a ouvert les portes de son univers. J’ai passé un an auprès  de lui, dans son cercle familial, et ce fut bien plus qu’un simple apprentissage musical. C’était  une véritable immersion culturelle, une découverte, intense et inspirante, des sources mêmes  de nos influences compositionnelles, y compris ici, à l’Opéra de Paris. C’était en 1983 – il y a  bien longtemps maintenant.  

En tant qu'Américain, être soudainement plongé dans cet environnement a été une expérience  fondatrice. Chez Messiaen, bien sûr, nous parlions français ; en Allemagne, lors de nos  tournées, nous parlions allemand ; en Italie, nous parlions italien... Cette immersion linguistique et culturelle m’a permis de me détacher d’une vision régionale pour me confronter directement  aux origines de la musique que j’interprète. Messiaen a ouvert une porte sur une façon de voir  le monde et la musique qui allait m’accompagner toute ma vie durant. C’est pourquoi cette  rencontre a été si déterminante : depuis, je ne suis jamais vraiment « retourné » aux États-Unis  – ni psychologiquement, ni émotionnellement, ni même spirituellement. Mon répertoire est essentiellement issu de la tradition européenne. 

Dans cette évolution, ma relation avec Pierre Boulez a également été essentielle, notamment  grâce à ce lien avec Messiaen. Leonard Bernstein a joué un rôle similaire : il est né aux  Etats-Unis comme moi, mais son parcours a été profondément marqué par l’Europe. Seiji  Ozawa a connu un cheminement comparable : venant du Japon, lui aussi était éloigné des  traditions européennes. Mais sa rencontre avec Charles Munch, sa victoire au Concours de  Besançon et son immersion dans le monde musical européen ont représenté pour lui un  tournant décisif.  

Ainsi, les enseignements de Bernstein, Ozawa et Boulez résonnaient particulièrement en moi.  Chacun d’entre eux avait, à sa manière, traversé un processus d’ouverture similaire au mien,  passant par la tradition française, allemande, italienne, tout en restant marqué par l’héritage de  son pays d’origine. Ils ont aussi su m’apporter des clés précieuses pour poursuivre mon  évolution.  

Vous dirigez autant le répertoire symphonique que lyrique. Comment abordez-vous cette  distinction, entre ouvrages dramatiques et ouvrages « purement » orchestraux ?  

À mon sens, il est impossible de séparer l’opéra de la musique instrumentale.  

La musique symphonique est en réalité issue de l’ouverture à la française, elle-même née de  l’opéra français et de sa tradition. Cette dernière puise ses racines dans la Haute Renaissance,  qui a influencé Jacopo Peri ou Monteverdi, et qui elle-même découle de la polyphonie  médiévale. Notons que Notre-Dame de Paris et son acoustique exceptionnelle auraient favorisé  le développement de cette écriture polyphonique. Ainsi, la musique vocale est issue de la  musique instrumentale, et il me semblerait artificiel, et même contraire à la nature organique de  la musique, d’opérer une séparation stricte entre les deux.  

D’un point de vue personnel, mon entrée dans le monde professionnel s’est faite à l’opéra, en tant qu’assistant chef d’orchestre. Cette expérience a été déterminante dans mon parcours : je ne fais  pas de distinction entre le répertoire symphonique et celui de l’opéra.

Ils font tous les deux partie de la grande histoire de la musique - dont nous devons être  conscients en tant que musiciens - et doivent être abordés comme appartenant à un tout, sans  cloisonnement artificiel.  

Le monde de l’opéra aujourd’hui se situe à un carrefour, entre désir d’innovation et  d’évolution d’un côté, et besoin de préserver une certaine tradition, une certaine identité,  une certaine histoire. Selon vous, comment trouver l'équilibre ?  

On pourrait dire que l’opéra est révolutionnaire depuis le XVIe siècle, depuis des compositeurs  comme Jacopo Peri ou Monteverdi. Les premières œuvres créées à Mantoue ont un effet  fédérateur : elles attiraient en un même lieu des personnes d’âges, de classes sociales ou de  statuts différents. Le plus important était de partager une expérience radicale et totalement  nouvelle : le drame musical. À Hambourg, cela a même conduit à la décision d’ouvrir une  maison d’opéra publique, l’une des plus anciennes au monde. Contrairement à Munich ou  Versailles, où l'opéra était réservé à l’aristocratie et donné dans des théâtres privés au sein des  résidences royales, Hambourg a choisi l’ouverture. C'était un fait nouveau, qui incarnait ce que  l’opéra doit être : une perpétuelle avant-garde.  

La perception de l’opéra évolue à travers les générations. Par exemple, lorsque j’étais enfant,  au XXᵉ siècle, programmer un opéra contemporain était considéré comme une prise de  risque,quelque chose de difficile, qui pouvait rebuter le public par sa complexité et son  étrangeté. Je me souviens de ma mère qui me disait avec scepticisme : « Tu veux vraiment  écouter Le Sacre du Printemps ? » (rires) .  

Or, aujourd’hui, au XXIᵉ siècle, nous avons pris du recul sur les œuvres du XXᵉ siècle. Qui pourrait encore considérer L’Enfant et les sortilèges de Maurice Ravel comme une œuvre  déroutante ? Ou The Rake’s Progress de Stravinski ? Qui dirait que Salomé ou Elektra de  Richard Strauss sont impossibles à écouter ? L’Amour des trois oranges de Prokofiev, les  opéras de Chostakovitch, ou encore Saint François d’Assise de Messiaen, et même Wozzeck  d'Alban Berg, autrefois perçus comme avant-gardistes, font aujourd’hui partie du répertoire  établi. Le XXᵉ siècle, autrefois considéré comme révolutionnaire, est désormais entré dans la  tradition.  

Ce qui compte finalement, ce n’est pas l’époque durant laquelle une œuvre est produite, mais la  qualité de l'œuvre elle-même. De même qu’au XVIIIᵉ ou au XVIIᵉ siècle, la plupart des œuvres  écrites au XXᵉ siècle ne sont pas restées dans l’histoire, seules quelques pièces  exceptionnelles traversent le temps et deviennent des chefs-d’œuvre. C’est un processus  fascinant : il suffit de regarder 40 ou 50 ans en arrière pour mesurer l’évolution des  perspectives.  

Donc, pour répondre directement à votre question : oui, l’opéra doit se tourner vers  l’avant-garde et oui, il doit respecter la tradition. (rires) 

Votre nom est désormais indissociable de la création contemporaine, et vous jouez  régulièrement un rôle de pionnier dans la construction d’un nouveau répertoire. Paris se  souviendra toujours de vous comme du créateur de Saint François d’Assise de  Messiaen, et aujourd’hui, vous dirigez Il Viaggio, Dante de Dusapin. Pouvez-vous nous  parler de votre travail avec ces compositeurs de renom ?  

Avoir eu la chance de collaborer directement avec des compositeurs comme Henri Dutilleux,  Olivier Messiaen ou Pierre Boulez, et aujourd’hui avec les nouvelles générations, est un  immense privilège. La France a une tradition de composition incroyablement riche, et les jeunes  créateurs d’aujourd’hui, tout comme leurs aînés, sont porteurs d’un héritage remarquable.  

L'une des choses merveilleuses lorsqu'on travaille avec un compositeur contemporain, c'est  que si l’on a la moindre question sur son œuvre, - « est-ce un si ou un si bémol ? », « Le tempo  doit-il être rigoureux ou peut-il être flexible ? » - il suffit de lui téléphoner !  

Quand un compositeur a disparu, il faut s’appuyer sur ce qu’il a laissé : écrits, témoignages,  manuscrits... Ce travail permet d’approfondir une œuvre bien au-delà de la seule lecture de la  partition. Chaque musicien sérieux et engagé passe par cette démarche, à chaque fois qu'il lui  faut interpréter une pièce ou y revenir. C’est précisément l’objectif d’un projet de recherche  auquel je participe depuis dix ans : nous cherchons à comprendre comment interpréter la  musique de Richard Wagner. Ce projet nous amène notamment à reconstituer un orchestre de  musiciens jouant sur instruments anciens, et nous présenterons Siegfried à la Philharmonie de  Paris dans ce cadre.  

Ma façon d’aborder les œuvres reste en fait la même, que le compositeur soit vivant ou non. Je  travaille la musique de Bach, de Mozart ou de Beethoven, comme si chacun était présent à côté  de moi. Je leur pose des questions en permanence. Il en va de même avec Messiaen : je  continue de lui poser des questions en reprenant sans cesse ses manuscrits, en observant sa  manière d’écrire, en écoutant des enregistrements dans lesquels il joue ses propres pièces, en  me rappelant son intonation, sa gestuelle… Cette démarche ne se résume pas à écouter un  enregistrement ou un podcast, il s’agit d’interroger la musique, de dialoguer avec elle. Sans un  tel travail, la musique perdrait son pouvoir. Elle risquerait de devenir un simple divertissement,  ou de ne se réduire qu’à l’émotion, au pathos.  

Au gré de mon travail avec de grands compositeurs, j’ai participé à la création d’œuvres, et j’ai  toujours l’espoir que celles-ci trouvent leur place dans le répertoire. Ce fut le cas pour Saint  François d’Assise, mais aussi pour des opéras de John Adams sur lesquels j’ai travaillé, ou bien  citons L’Amour de loin de Kaija Saariaho. C’est pour moi un honneur d’avoir contribué à donner  vie à ces musiques. 

Vous êtes un invité régulier de l’Opéra national de Paris : cette année, vous dirigez Il  Viaggio, Dante, et en 2022, vous avez dirigé un Quiet Place mémorable au Palais Garnier.  Qu’éprouvez-vous en revenant ici ?  

L’Opéra de Paris – et j’inclus bien sûr le Palais Garnier, l’Opéra-Comique et l’Opéra Bastille –  est un lieu unique. Revenir ici est toujours pour moi un moment particulier, car cette maison  porte en elle une tradition vivante, perpétuée par son orchestre et son chœur, qui nous font  entendre et ressentir les voix du passé. Cette maison est loin d'être figée dans le temps : au  contraire, c’est un lieu en perpétuelle évolution, tourné vers l’avenir. Une telle dynamique est  précieuse et rare. J’ai en effet connu des maisons dans lesquelles l’on a le sentiment d’entrer  dans un musée - que les bâtiments soient récents ou non, comme si leur lien avec le monde  d’aujourd’hui s’était distendu.  

Vous souvenez-vous du premier opéra auquel vous avez assisté à l’Opéra national de  Paris ?  

En vérité, je ne peux pas n’en citer qu’un seul. Lors de ma venue à l’Opéra national de Paris  dans le cadre de ma collaboration avec Messiaen pour Saint François d’Assise, durant l’année  1983, de janvier à décembre, j’avais la possibilité d’assister aux représentations de mon choix.  

Le tout premier opéra que j’ai vu était Madame Butterfly dans sa version originale en deux  actes. En tant qu’Américain, je n’avais jusque-là dirigé que la version finale de Butterfly. Ainsi,  découvrir dans cette grande maison une version issue d’un travail de recherche sur la genèse  de l’œuvre de Puccini a été une expérience inoubliable, m’offrant une perspective  complètement nouvelle sur l’importance de l’histoire dans le domaine musical.  

Ensuite, j’ai pu voir Les Noces de Figaro. Puis, j’ai assisté à une création mondiale d’une  œuvre d’Edison Denisov à l’Opéra-Comique. À mes yeux, cette maison était caractérisée par  des œuvres du répertoire comme Carmen, Werther ou les opéras d’Offenbach. Assister à cette création m’a montré que cette maison était vraiment vivante, qu’elle veillait aussi bien à  présenter les œuvres traditionnelles du répertoire qu’à en créer de nouvelles, et ce fut une  source d’inspiration immense pour continuer à poser des questions, à explorer et à apprendre.  

Vous travaillez sur cette production de Il Viaggio, Dante avec Claus Guth – vous avez  également créé cet opéra ensemble en 2022 au Festival d'Aix-en-Provence. Comment  décririez-vous votre collaboration avec Claus Guth ?  

J’ai eu l’opportunité de collaborer avec de très grands metteurs en scène et musiciens, lorsque  j’ai travaillé à l’Opéra de Los Angeles - une maison d’opéra typiquement américaine -, en tant  que directeur musical du Bayerische Staatsoper à Munich et du Staatsoper de Hambourg. 

J’ai travaillé avec Claus Guth pour la première fois sur la production de Il Viaggio, Dante. Collaborer avec lui fut une expérience extrêmement enrichissante : même s’il n’est pas  musicien, son niveau d’exigence artistique et de raffinement est tel que nous parlons  instinctivement le même langage. Si je lui faisais remarquer qu’un élément de mise en scène ne  semblait pas organique, naturel, par rapport au développement musical, il comprenait  immédiatement et trouvait un moyen de traduire son intention scénique autrement en  respectant la logique musicale. Le dialogue était constant. Cette dynamique créative a parfois  été explosive, dans le meilleur sens du terme.  

Je suis impatient de découvrir comment Claus va ajuster son travail au Palais Garnier. Cet écrin  est l’un des plus beaux théâtres au monde : son cadre classique, son proscenium majestueux,  mais aussi son incroyable vitalité en font un lieu unique. 

Qu’aimeriez-vous que le public retienne de cette production ?  

Après une représentation – et je parle ici en tant que simple spectateur – chacun, en quittant la  salle, garde un souvenir différent de ce qu’il a vu. Je trouve cela merveilleux, car le fait que  chacun réagisse à sa manière face à une œuvre signifie qu’un dialogue s’est instauré, qu’une  communication s’est établie. À travers cet échange d’impressions, une forme de communauté  se crée. À l’ère des réseaux sociaux, la communication est omniprésente, certes, mais de façon  dématérialisée. Le partage immédiat d’une expérience vécue ensemble, dans le même espace  et au même moment, se fait plus rare. Or, cette interaction directe et physique entre des êtres  vivants est essentielle à l’art et à la création. Je souhaite qu’un lien, qu’une communication  s’établisse entre l'œuvre et le public.  

Comme Dante, nous traversons tous des périodes d’incertitude où nos certitudes vacillent. Il Viaggio, Dante, tel que l’ont conçu Claus Guth et  Pascal Dusapin, à travers le texte inspiré de Dante, parle précisément de ces incertitudes que  nous ressentons tous. Dante est perdu, il ne sait pas où il va. 

Durant son voyage de l’Enfer au Purgatoire jusqu’au Paradis, Dante pose des questions  universelles, des questions que l’on posait au XIVᵉ siècle et qui sont toujours les nôtres  aujourd’hui, en 2025. Ce sont des interrogations fondamentales, intemporelles. Que signifie le  bien et le mal ? Où se situe la limite ? Sommes-nous coupables de nos désirs, de nos envies ?  Est-ce un péché de trop manger, par exemple ? Où commence la luxure ? Est-ce mal  d’éprouver un désir intense ? Dante explore ces interrogations à travers son voyage de l’Enfer  au Paradis, des interrogations profondément actuelles contre lesquelles personne n’est  immunisé. Cette production ne cherche pas à actualiser Dante de façon artificielle.  L’intemporalité de Dante se révèle naturellement.  

L’incertitude que nous vivons aujourd’hui n’est pas nouvelle, elle fait partie de l’histoire de  l’humanité. Il Viaggio, Dante nous invite à entreprendre un voyage qui nous aide à mieux nous  comprendre nous-mêmes. J’espère que le public pourra s’engager pleinement dans cette  formidable expérience intellectuelle et émotionnelle.  

Pour terminer, quels enseignements aimeriez-vous transmettre à la nouvelle génération  de chefs d’orchestre et de musiciens ? 

Je voudrais rappeler l'importance – et pas seulement aux chefs d’orchestre, mais à chacun,  quel que soit son parcours ou sa profession – de garder à l’esprit trois principes que nous  connaissons instinctivement depuis l’enfance.  

Premièrement, il ne faut jamais se contenter du statu quo. Ce qui a fonctionné par le passé ne  fonctionnera pas forcément aujourd’hui. L’essentiel est de toujours repenser, questionner et  réinventer. Enfant, quand je demandais à mes parents pourquoi nous devions faire telle ou telle  chose, la pire réponse qu’ils pouvaient me donner était la suivante : « Parce que c’est comme  ça que l’on a toujours fait. » Quoi de plus frustrant ! Les enfants ne comprennent pas les notions  d’habitude ou de routine. Dire qu’on fait quelque chose simplement parce que cela a toujours  été ainsi revient souvent à s’enfermer dans une forme de sécurité ou de paresse. Le statu quo est l’ennemi de la créativité.  

Deuxièmement, il ne faut jamais prendre son public de haut. Il est bien plus intelligent qu’on ne  l’imagine, et il faut toujours lui offrir le meilleur.  

Par exemple, je me souviens d’avoir assisté à des concerts pour enfants où l’orchestre n’avait  manifestement pas répété sérieusement et où le programme était ennuyeux. J’ai compris que  les organisateurs pensaient que, parce que les spectateurs avaient entre cinq ou six ans, ils n’étaient pas capables de saisir des productions plus complexes. Or, l’intelligence d’un enfant  est d’une vivacité incroyable et ils sont capables de comprendre des notions complexes. Leur  attention aiguisée leur permet de percevoir la moindre tension dans une conversation, la  moindre attitude étrange ou amusante... Ce que je viens d’expliquer vaut pour tous types de  publics : il ne faut jamais sous-estimer le public ou se sentir supérieur à lui de quelque manière  que ce soit. Il faut lui offrir ce qu’il y a de plus raffiné, de plus exigeant, de plus stimulant. 

Troisièmement, il est possible de faire des compromis sur un budget ou sur un calendrier  certes, mais jamais sur l’exigence artistique. Sinon, on se trahit soi-même. Dès l’enfance, nous  ne supportons pas l’idée de compromis. Nos parents nous disent parfois : « Tu ne peux pas  toujours obtenir ce que tu veux, il faut trouver un compromis. » Cela nous exaspère ! Bien sûr,  en grandissant, nous comprenons qu’il est parfois nécessaire de faire des concessions. Mais si  l’on commence à transiger sur la vérité elle-même, sur la qualité, alors il ne reste plus rien. 

J'aimerais partager avec vous une expression anglaise qui résume l’importance de rester  curieux, émerveillé et ouvert « Don’t be childish, be childlike. » (« Ne sois pas puéril, mais  garde ton âme d’enfant. ») 

Photographie : © Sergio Veranes

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