
Pourriez-vous nous parler de votre découverte de la danse ?
J’ai commencé la danse parce que j’étais très timide, quand j’avais 6 ou 7 ans. Je ne pouvais aller nulle part sans ma mère, et j’avais du mal à parler ou à communiquer avec les autres. Ma mère a commencé à s’inquiéter quand j’ai eu l’âge d’aller à l’école.
À cette époque, il y avait une école de danse juste à côté de l’endroit où ma sœur prenait des cours de natation. C’est là que j’ai commencé. J’ai quelques souvenirs précis de cette école : j’aimais beaucoup les justaucorps bleus, les cours avaient lieu le jeudi. Au début, je ne savais pas vraiment si j’aimais cela ou non, mais c’est devenu une partie de mon quotidien. Grâce à la danse, j’ai pu communiquer avec les autres sans parler, à travers la musique et le mouvement, cela m’a permis de m’ouvrir.
J’ai appris la danse en Corée pendant 15 ans, jusqu’à mon arrivée au Ballet de l’Opéra de Paris, à 21 ans.
Avez-vous remarqué des différences dans la manière dont la danse est enseignée en Corée et en France, ou même des variations stylistiques ?
Évidemment, il y a des différences. Le style coréen reflète vraiment la mentalité du pays. On aime montrer une technique très propre, très précise, un peu comme dans le style russe, où la virtuosité est assumée. En France, je ressens autre chose. La danse comprend une forme de retenue, un charme plus subtil, qui passe par des détails comme les bras, l’épaulement. Cela rejoint aussi certains aspects de la culture française, où l’on n’affiche pas forcément ce que l’on possède.
Il y a aussi des différences dans la manière de travailler l’expression. En Corée, c’est la professeure qui guide l’interprétation, qui dit comment incarner un personnage. En France, c’est beaucoup plus rare. Personne ne m’impose un sourire si je n’en ai pas envie. Cette liberté m’a fait du bien. Je ne dis pas qu’une méthode est meilleure que l’autre. C’est juste différent. Et ce changement m’a vraiment aidée à évoluer.
En 2023, vous avez été promue « Sujet » et avez reçu le Prix de la Danse de l’Arop, et cette année, vous accédez au rang de « Première danseuse ». Qu’avez-vous ressenti face à ces promotions, à la fois dans votre lien avec la compagnie et avec le public ?
Tout est allé très vite. Quand je suis arrivée en France, je ne m’attendais absolument pas à cela. Recevoir le Prix de l’Arop, puis monter les échelons… Cela me touche énormément. Je reste une étrangère ici, même si je me sens très bien accueillie. Les spectateurs me soutiennent et je le ressens profondément. Cette bienveillance me motive sur scène.
Ce qui est un peu fou, c’est qu’au départ, je ne rêvais pas vraiment de devenir danseuse professionnelle. Je pensais plutôt devenir professeure de danse. Mon objectif était simplement d’essayer, de découvrir une compagnie, et surtout de visiter Paris. Le timing était parfait, c’était pendant les vacances de l’université, j’avais 21 ans. Si j’avais eu un plan clair pour devenir danseuse à l’étranger, je serais partie plus tôt, à 17 ou 18 ans. Là, j’ai fini mes études tranquillement avant de me lancer.
Aujourd’hui, je peux dire que j’aime la danse. En Corée, je ne le ressentais pas de la même manière. C’est presque comme si j’avais vraiment commencé à danser en arrivant en France. Maintenant, je me mets plus de pression. Parce que j’ai envie d’être parfaite, et parce que chaque spectacle compte. Et malgré le stress, je prends énormément de plaisir sur scène.
Vous avez eu l’occasion de travailler à la fois de grands classiques et du contemporain. Cette diversité de répertoires est-elle une découverte faite à l’Opéra de Paris, ou aviez-vous déjà abordé ces styles auparavant ?
J’ai vraiment découvert la diversité des répertoires ici. En Corée, le milieu de la danse est plus petit, et les occasions de travailler avec de grands chorégraphes sont beaucoup plus rares. On évolue surtout dans le classique pur, avec un répertoire plus limité. Ce qui a tout changé pour moi, c’est ma rencontre avec le danseur coréen Yong-ho Kim, qui était sujet ici avant de retourner en Corée, où il est devenu mon professeur. C’est lui qui m’a fait découvrir le néoclassique et qui m’a initiée à une autre façon de danser. Grâce à lui, j’avais déjà un petit aperçu de ce style avant de venir en France… Et j’aimais vraiment cela.
Ce qui me plaît, c’est d’explorer toute la palette. Interpréter un grand personnage classique ou relever des défis plus techniques. Si je fais trop de classique, j’ai hâte de retrouver quelque chose de plus contemporain, et inversement. Cette alternance est source de motivation. Je veux essayer plein de choses pour découvrir ce que j’aime vraiment.
Vous êtes actuellement à l’affiche de la soirée Racines à l’Opéra de Paris, où vous dansez le ballet Corybantic Games de Christopher Wheeldon, ainsi que Rhapsodies mis en scène par Mthuthuzeli November. Quel est votre rapport à ces deux chorégraphies ?
Ce qui m’a beaucoup amusée, c’est la façon dont Mthuthuzeli November a travaillé. Il ne nous a presque rien raconté sur l’histoire ou les intentions de la pièce. Il nous a transmis la chorégraphie, mais sans nous imposer une interprétation. Je danse en couple avec Pablo Legasa. Nous avons trois pas de deux, et une petite variation. Nous nous sommes amusés à imaginer une évolution dans notre relation. Pour le premier pas de deux, nous avons gardé un côté timide, comme si nous nous découvrions encore. Dans le deuxième, nous jouons davantage, il y a plus d’énergie dans l’échange. Le troisième est plus intime, un peu mélancolique. J’ai vraiment eu le sentiment de créer mon propre personnage.
Quand un chorégraphe nous donne cette liberté et cette confiance, l’engagement sur scène est totalement différent. On danse de tout notre cœur. Pour moi, c’est ce qui rend Rhapsodies si spécial.
Pour Corybantic Games, le travail a été très différent. L’énergie de la pièce, l’esthétique plus martiale et sensuelle… Tout cela change complètement du monde de Rhapsodies. Le chorégraphe a un tempérament très différent, plus extraverti et direct dans sa manière de communiquer. Dès qu’il arrivait en studio, il nous posait beaucoup de questions pour comprendre comment on abordait le mouvement, et nous montrait précisément le style qu’il voulait.
Le vrai défi pour moi, c’était la musicalité. Les comptes changent sans arrêt, parfois cela va par 5, puis 10, puis 8… C’était presque impossible à mémoriser au début. Le répétiteur nous a dit que compter pouvait aider, mais que le plus important était vraiment d’écouter la musique, de s’y plonger. Alors j’ai passé des jours entiers à l’écouter, dans le métro, à la maison, partout. Petit à petit, j’ai fini par sentir l’harmonie entre la musique et le mouvement, à associer des images à la musique. À partir de là, tout est devenu plus naturel.
J’aime aussi beaucoup lorsque l’orchestre joue en direct. Je remarque parfois des notes que je n’avais jamais entendues avant. Cela m’invite à réagir, à essayer autre chose dans mon interprétation. C’est ce qui rend la danse vivante et surprenante à chaque représentation.

Vous disiez ne pas forcément vouloir faire carrière en tant que grande danseuse, et avoir projeté d’enseigner. Est-ce quelque chose d’envisageable à l’avenir ?
Je ne pense pas que j’y reviendrai. C’est aussi pour cela que je veux me donner à fond en tant que danseuse aujourd’hui.
Mais j’aime tout ce qui touche à la création : les fleurs, les bouquets… Des choses que je peux fabriquer de mes mains : les décors et les costumes... Le monde du théâtre, ce qui fait le spectacle, c’est quelque chose qui me fascine.
Pour finir, un rapide portrait !
Si vous étiez un personnage de ballet, lequel serait-il ?
La belle au bois dormant : un peu timide au début, mais qui connaît une belle évolution.
Si vous étiez un instrument de musique ?
Le piano. J’aime beaucoup Chopin !
Photographie
Image de couverture et image 1: Hohyun Kang © Julien Benhamou - OnP
Image de bannière et Image 2: Hohyun Kang © Maria-Helena Buckley - OnP