La grande June Anderson est Marie dans cette version légendaire de l’opéra de Donizetti. À écouter sans plus attendre !
L’essentiel
• Un savant dosage entre opéra-comique et belcanto : une réussite éblouissante, pour tout public.
• Une mise en scène pétillante, drôle et enlevée, en parfaite adéquation avec l’esprit de l’œuvre.
• Sous la baguette experte d’Evelino Pidò, spécialiste de ce répertoire, une distribution combinant jeunes artistes et talents confirmés, dont Julie Fuchs, Lawrence Brownlee, Susan Graham et la radieuse Felicity Lott.
Au Tyrol, occupé par les troupes napoléoniennes. Enfant abandonnée, Marie a été découverte par le XXIe régiment de grenadiers, et a été adoptée. Elle y est devenue vivandière, et a promis de ne se marier qu’avec un homme du XXIe. Tonio, partisan tyrolien, est arrêté. Il a sauvé naguère la vie de Marie et les deux jeunes gens sont éperdument amoureux. Hélas, Marie découvre qu’elle est la nièce de la marquise de Berkenfeld (elle est en fait sa fille, fruit d’une liaison avec le capitaine Robert !), et celle-ci cherche à la marier avec le neveu de la duchesse de Crakentorp. Mais cette dernière, apprenant le passé de vivandière de Marie, refuse de contracter le mariage. Avec l’accord d’un régiment qu’il a maintenant gagné, Tonio peut épouser Marie.
La plus française des héroïnes nées sous la plume d’un compositeur italien, La Fille du régiment respire la nostalgie et le pittoresque d’un siècle qui préside à la formalisation du roman national. Assimilant le goût du public français de l’époque, tant sur le fond que sur la forme, Donizetti signe un premier opéra-comique d’une grande fraîcheur, succès populaire qui fait oublier ses débuts timides – contrarié par les critiques d’un Berlioz notamment – dès la reprise de 1848. Avec ses coups de théâtres, ses personnages bien campés, sa candeur sentimentale et son patriotisme affiché, l’œuvre s’impose aussi bien pendant le Second Empire, où l’air « Salut à la France » devient un second hymne officieux, que sous la Troisième République les soirs de 14 juillet où elle est la plus représentée. La Fille du régiment séduit pour son esprit vaudeville, ses changements de registres aussi brillants que véloces et sa peinture habile des « couleurs locales », comme lors de la leçon de chant qui oppose dans un conflit ouvert la gouaille militaire aux manières sophistiquées des aristocrates. Véritable « caméléon musical », Donizetti ne cesse de varier les inspirations et de jouer avec les conventions, fussent-elles celles du grand opéra au début de l’ouvrage ou celles du bel canto italien, remarquables dans le traitement vocal du personnage de Marie et les airs de Tonio, dont le « Ah mes amis, quel jour de fête » (piste 10), étourdissant de virtuosité avec ses 9 contre-ut en cascade.
Substituant une guerre à une autre pour mieux en railler la mécanique, Laurent Pelly replace l’action dans le contexte de 1914 plutôt qu’à l’époque des campagnes napoléoniennes. Émaillée de gags et de trouvailles scéniques, la production fait la part belle à un comique troupier salvateur, qui subvertit le militarisme du livret pour exalter davantage la légèreté, la pétulance mais aussi la dimension satirique inhérente à l’ouvrage. La direction d’acteur brosse une Marie aux allures de Gavroche et des personnages secondaires aussi tendres que truculents. Minutieusement chorégraphiées, les interventions du chœur permettent le défilé efficace et toujours enlevé des différents tableaux, les artistes s’employant tour à tour à camper les représentants de la paysannerie, de l’armée ou de l’aristocratie. La production alterne ainsi avec fluidité entre les passages émouvants et des scènes burlesques que vient relever la réécriture des dialogues parlés.
Formées à partir de plans d’état-major froissés, les montagnes du Tyrol intègrent une carte du tendre bien de la trempe de La Fille du régiment, toute mâtinée d’évocations martiales. Dans ce décor fantaisiste qui ramène le zèle militaire à l’absurdité de son dessein, les personnages se confondent avec l’image de ces soldats de plombs manipulés en tous sens ; embrassant au moins ici celui du comique et de la satire.
OPÉRA-COMIQUE EN DEUX ACTES, 1840
En langue française
LAURENT PELLY
Reprise (Création : 2012)
EVELINO PIDÒ
MARIE
JULIE FUCHS
TONIO
LAWRENCE BROWNLEE
SULPICE
LIONEL LHOTE
LA MARQUISE DE BERKENFIELD
SUSAN GRAHAM
HORTENSIUS
FLORENT MBIA
LA DUCHESSE DE CRAKENTORP
FELICITY LOTT
UN PAYSAN
CYRILLE LOVIGHI
LE CAPORAL
MIKHAIL SILANTEV
Orchestre et Chœurs de l'Opéra national de Paris
2h40 avec 1 entracte